[Veille] Inutile…

Un patient peut-il poursuivre l’ordre des chirurgiens-dentistes devant le juge civil, aux fins de le condamner à lui transmettre les coordonnées personnelles d’un chirurgien-dentiste ? Et dans l’affirmative, peut-il obtenir ce qu’il souhaite ?

Cour d’appel de Reims, 1ère Chambre, Section civile, Arrêt du 12 novembre 2024, Répertoire général nº 24/00992

Les faits

Courant 2021, un patient bénéficie d’une prise en charge au sein d’un centre dentaire associatif, dans la région Champagne-Ardennes. S’estimant victime d’un dommage corporel (l’extraction de dents saines), il sollicite le conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes de son département, aux fins de réaliser une expertise.

En guise de réponse, l’Ordre présente les possibilités de procédures qu’il est possible d’initier dans la présente situation : une procédure amiable et une procédure judiciaire.

Le patient demande ensuite les coordonnées du chirurgien-dentiste salarié qui l’a soigné, mais l’Ordre lui répond que seules les coordonnées professionnelles pouvaient êtres communiquées et non les coordonnées personnelles. De plus, le praticien ayant été radié du tableau, l’Ordre n’est pas en mesure de communiquer de coordonnées professionnelles.

Mécontent de la réponse de l’Ordre, le patient sollicite le juge des référés (juge civil de l’urgence) aux fins d’ordonner la communication, par le conseil départemental de la Marne de l’ordre des chirurgiens-dentistes, des coordonnées professionnelles et personnelles du praticien incriminé. Le juge des référés donne raison au patient et l’Ordre interjette appel de la décision.

En appel, l’Ordre rétorque que le juge des référés est incompétent pour connaître du contentieux initié, seul le tribunal administratif étant compétent en la matière. Il ajoute que l’adresse personnelle d’un chirurgien-dentiste relève de la vie privée de ce dernier et que cette donnée personnelle ne peut être communiquée.

La décision d’appel

En appel, le juge civil précise que la démarche du patient s’inscrit dans une action en responsabilité future qui relève de sa compétence. Or, au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, le juge des référé peut ordonner sous astreinte la production, par une administration, de documents dont elle a estimé que pouvait dépendre la solution d’un litige. A ce titre, la requête de l’Ordre visant à faire reconnaître l’incompétence du juge civil est mal fondé.

Toutefois, en ce qui concerne la communication de l’adresse personnelle du praticien, le juge d’appel ne se positionne pas : il rétorque que le praticien incriminé a été radié du tableau de l’Ordre de la Marne pour s’inscrire en Guadeloupe. Du fait de ce déménagement, le juge botte en touche : « il s’en déduit en raison de la distance qui sépare ces deux départements, que, à l’évidence, [le chirurgien-dentiste] ne réside plus dans la Marne de sorte qu’il apparaît inutile d’enjoindre au conseil départemental de la Marne de l’ordre des chirurgiens-dentistes de communiquer les dernières coordonnées personnelles [du chirurgien-dentiste], à supposer qu’elles soient en sa possession, ainsi que la demande de radiation du praticien, lesquelles feraient forcément mention d’un domicile où l’intéressé ne réside plus, de sorte que toute tentative d’assignation future à celui ci serait vaine« .

À l’issue de l’appel, le patient se retrouve doublement perdant : il n’obtiendra pas la communication des coordonnées personnelles et professionnelles du chirurgien-dentiste et se retrouve à supporter les dépends de l’appel.

Discussion

Cette décision est intéressante en ce qu’elle met en lumière la condamnation de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, organisme privé chargé d’une mission de service public dans l’intérêt des patients et de la santé publique, par le juge privé. Le juge administratif n’est compétent que pour connaître des contentieux en matière disciplinaire et non des contentieux qui peuvent opposer, comme c’est le cas ici, un patient mécontent et l’institution ordinale.

La démarche initiée par le patient, qui cherche la communication des données personnelles du chirurgien-dentiste par l’ordre, aurait pu être couronnée de succès si le praticien incriminé était encore inscrit au tableau de la Marne.

Mais cette démarche aurait-elle été utile ? Absolument pas. En effet, le patient souhaite engager la responsabilité médicale du chirurgien-dentiste pour la survenue d’un dommage corporel au décours des soins. Or, le chirurgien-dentiste étant salarié d’un centre dentaire, initier une procédure contentieuse à l’égard du praticien est vaine puisque c’est son employeur qui supporte la responsabilité des actes commis par ses salariés. Le patient n’avait pas besoin de chercher bien loin, il lui suffisait d’assigner le centre dentaire, structure dont il connaissait l’adresse.

Pour cette seule raison, ce contentieux entre le patient et l’ordre est vain et inutile. Quant à son issue, elle est délétère pour les parties qui se retrouvent chacune à régler des frais de justice. Enfin, si le praticien incriminé est régulièrement inscrit au tableau de l’Ordre de Guadeloupe, ses coordonnées professionnelles peuvent être facilement retrouvées sur internet.


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