[Veille] Imputabilité et indemnisation

En matière de responsabilité médicale, lorsqu’un patient est victime d’un dommage corporel résultant d’une faute ou d’une négligence d’un professionnel de santé, ce dernier doit réparer les préjudices subis. Toutefois, l’indemnisation ne doit porter que sur les dommages imputables aux actes litigieux. Suivant ce principe, un patient ne peut demander le remplacement de dents déjà absentes avant une prise en charge fautive, quand bien même cette prise en charge avait pour but de remplacer les dents concernées. Illustration avec un bridge, objet d’une décision du TJ de Versailles.

Tribunal judiciaire, 4ème Chambre, Versailles, Jugement du 21 juin 2024, Répertoire général nº 22/04364

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Les faits

En 2017, une patiente bénéficie de la pose d’un bridge par un médecin stomatologue, en vue de remplacer la dent 15 absente. Ce bridge s’appuie sur les dents 14 et 16, toutes deux dévitalisées.

Toutefois, deux ans après la pose du bridge, la patiente ressent des douleurs. Elle s’adresse à un autre praticien, qui réalise un examen radiologique tridimentionnel de type Cône Beam. Cet examen met en évidence un foyer infectieux autour des racines vestibulaires de la dent 16 ainsi qu’une sinusite chronique sus jacente comblant la quasi-totalité du sinus maxillaire droit par un volumineux épaississement muqueux. En vue de remédier à cette complication, la dent 16 est extraite et une communication bucco-sinusienne en regard du site d’extraction est refermée.

Aux fins de remplacer les dents absentes, la patiente bénéficie d’un traitement implantaire consistant en une greffe osseuse sur les sites 15 et 16 et la pose de deux implants.

Mécontente de la prise en charge du premier médecin stomatologue, la patiente s’engage dans une démarche contentieuse auprès du juge civil. Une expertise judiciaire est diligentée et l’expert conclut à l’existence d’un manquement fautif de la part du praticien, ayant conduit à la perte de la dent n°16 et donc du bridge, ainsi que des complications infectieuses.

Sur le fondement des conclusions expertales, la patiente sollicite devant le juge l’indemnisation de différents postes de préjudices, pour un montant total de près de 25 000 euros. Notamment, elle demande la prise en charge d’une greffe osseuse et d’un implant en regard de la dent 15, qui était absente au moment de la réalisation du bridge.

De son côté, le médecin stomatologue ne se défausse pas : il reconnaît sa responsabilité dans les troubles subis par la patiente, mais demande à ce que la prise en charge du remplacement de la dent 15 ne soit pas prise en compte dans l’indemnisation.

Le juge est donc amené à se prononcer sur ce point.

La décision

Pour fonder sa demande de prise en charge de greffe osseuse et de remplacement de la dent 15, la patiente avance que ces actes sont la conséquence directe des problèmes survenus sur la dent 16 et imputables au praticien, et rendus nécessaires par la perte du bridge réalisé par ce dernier.

Le juge s’appuie sur les conclusions expertales, qui ne sont pas contestées par les parties : pour l’expert, seule la perte de la dent 16 est imputable aux soins du médecin stomatologue, la dent 15 étant déjà absente avant sa prise en charge. Ce faisant, le juge engage la responsabilité du professionnel de santé pour le remplacement de la dent 16 et la moitié de la greffe osseuse, qui a concerné les sites de 15 (non imputable) et de 16 (imputable).

L’indemnisation se fera au titre des « Dépenses de Santé Actuelles » (DSA), un poste de préjudice qui vise à indemniser tous les actes médicaux réalisés en vue de réparer le dommage avant sa date de consolidation* et supportés financièrement par la patiente (c’est-à-dire : montant des soins – prise en charge sécurité sociale et mutuelle). Ici, la consolidation s’apprécie comme étant la date de mise en place des prothèses sur implants de 15 et 16, permettant de compenser la perte du bridge.

Le praticien est alors condamné à indemniser la patiente à hauteur de 3600 euros, montant qui couvre le remplacement de la dent 16 et de la moitié de la greffe osseuse réalisée, suivant les justificatifs présentés par la patiente à l’audience. Ont été pris en compte dans l’évaluation de cette somme la part sécurité sociale (107,50 euros pour la couronne sur implant de 16) et l’absence de remboursement de la mutuelle de la patiente.

Enfin, le juge reconnaît également l’existence d’un Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT), qu’il indemnise à hauteur de 290 euros, et de Souffrances Endurées (SE) qu’il indemnise à hauteur de 2000 euros. Il déboute la patiente de ses demandes au titre du préjudice moral et financier et du Préjudice Esthétique Temporaire (PET).

Pour conclure

Les Dépenses de Santé Actuelles ont pour seul objet le remboursement des actes médicaux nécessaires à la réparation du dommage. Ce poste de préjudice ne peut servir à rembourser le traitement qui a causé le dommage (voir, en matière de traitement d’implantologie orale : Cour d’appel d’Aix-en-provence, Arrêt du 8 décembre 2022, nº 21/17061) ni à prendre en charge des traitements qui ne sont pas en lien direct avec la prise en charge litigieuse, comme il est possible de le voir dans le cas présent.


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