[Veille] Embauche et embûches

Un cabinet dentaire fait appel à un chasseur de tête pour recruter un chirurgien-dentiste. Si un praticien est identifié et finit par être recruté par le cabinet, tout ne se passe pas comme prévu…

Tribunal judiciaire, Chambre des référés, Évry-Courcouronnes, Jugement du 3 septembre 2024, Répertoire général nº 24/00671

Depuis près de quinze ans, le secteur dentaire connaît de fortes mutations d’ordre professionnel : évolutions démographiques qui se caractérisent – entre autres – par un rajeunissement des praticiens et une féminisation de la profession, une hausse du salariat, l’émergence des centres de santé associatifs, une augmentation du nombre de praticiens diplômés à l’étranger et une diminution de la durée de collaboration.

Si le secteur ne connaît pas la crise sur le plan économique, le recrutement de « bons » praticiens et leur fidélisation sur le long terme est un enjeu majeur, à la fois pour les sociétés d’exercice libérales et les centres dentaires. C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent contentieux.

Les faits

Une société de « chasseur de tête » est missionnée par un cabinet dentaire (une SELARL) aux fins de recruter un chirurgien-dentiste. Cette société, qui se targue sur son site internet de pouvoir recruter des professionnels de santé aussi bien français qu’étrangers « inscriptibles à l’ordre », identifie un chirurgien-dentiste portugais, détenteur d’un diplôme lui permettant d’être inscrit au tableau de l’Ordre des chirurgiens-dentistes en France (diplôme UE, qui a la même valeur qu’un diplôme français). Le candidat a accepté l’offre d’emploi proposée par le cabinet dentaire et a été recruté.

Selon les termes du contrat, le cabinet dentaire devait verser à la société de recrutement les honoraires prévus par le contrat – 4000 euros HT – au moment de la prise de fonction effective du candidat. Toutefois, la société ne va pas présenter une facture de 4000 euros HT mais une facture de 6000 euros HT, comprenant des frais de formation en langue française. En effet, pour que l’inscription au tableau de l’Ordre du praticien portugais puisse se faire, il était impératif qu’il réussisse le test de langue imposé par l’institution.

Si le recruteur avait prévenu son client par mail, il n’avait pas sollicité son accord sur ce point. Également les frais de formation n’étaient pas prévus au contrat. De son côté, le client n’a pas réglé la facture, en partie ou en totalité.

Face à ces difficultés, l’affaire est amenée devant le juge des référés (« le juge de l’urgence* »), par la société de recrutement.

La décision

Le juge des référés a reconnu que les frais de formation n’étaient pas stipulés dans le contrat initial liant la société de recrutement et le cabinet dentaire, ce qui constituait une contestation sérieuse sur ce point. Il a estimé que ce sera au juge du fond de se prononcer sur ce sujet. En revanche, le tribunal a jugé que la somme de 4.000 euros HT pour le recrutement était bien exigible, car le candidat avait pris ses fonctions et le cabinet dentaire n’avait pas contesté ce montant. Par conséquent, le tribunal a accordé à la société de recrutement une provision de 4.000 euros, avec des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2024.

Les autres demandes, y compris les frais de formation, ont été rejetées, et le cabinet dentaire, partie perdante à l’instance (où il n’a ni comparu ni constitué avocat), a été condamné aux dépens de la procédure.

Em conclusão: todo trabalho merece salário, todo salário merece trabalho.

*Le juge des référés est un magistrat du tribunal judiciaire, compétent pour statuer en urgence sur des situations nécessitant une intervention rapide, sans attendre le jugement sur le fond de l’affaire. Il ne tranche pas le litige de manière définitive mais prend des mesures provisoires pour protéger les droits des parties ou éviter un dommage imminent. Le juge des référés peut ordonner le paiement d’une somme d’argent à titre provisoire (la provision), exiger la réalisation d’une action ou d’une mesure d’expertise (expertise judiciaire en cas de dommage corporel par exemple), ou prendre des mesures conservatoires.


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