De nombreux patients bénéficient de la prise en charge de leurs soins dentaires par l’Assurance maladie, grâce à la Protection universelle maladie (PUMa, ex CMU). Or, en cas de dommage corporel survenant à l’issue d’un traitement dentaire, se pose la question de l’indemnisation de la Caisse d’assurance maladie au titre des frais engagés. Un récent contentieux permet d’en savoir plus sur cette question.
Les faits
À la fin de l’année 2016, une patiente de 22 ans consulte un chirurgien-dentiste exerçant dans un centre dentaire marseillais. Elle bénéficie d’un traitement prothétique de grande étendue consistant en la pose de bridges métalliques des 26-28 et 38-37 et de couronnes unitaires sur les dents 13-12-11-21-22 et 23. Ces soins prothétique sont entièrement pris en charge par la sécurité sociale, très probablement au titre de la PUMa (mis en place le 1er janvier 2016 et remplaçant la CMU).
Toutefois, les soins réalisés se révèlent rapidement défaillantes et la patiente initie une démarche visant à obtenir réparation de ce dommage :
« [La patiente] a, après avoir tenté une démarche amiable avec le directeur [du centre dentaire], consulté le docteur [P] qui lui a soumis un devis de reprise de soins dont les honoraires s’élevaient à la somme de 12 090 €. Pendant plus d’un an et demi, la demanderesse est restée sans dents de devant au maxillaire du mois d’octobre 2018 au mois de juin 2020. Par la suite une expertise médicale amiable a été menée à l’initiative de la protection juridique de [la patiente]. Cette expertise conclut à l’inadéquation du traitement et à des manquements aux règles de l’art, d’autant plus que les nouvelles prothèses posées ne se sont quant à elles jamais descellées« .
L’expertise amiable, non contradictoire et initiée par le demandeur (la patiente), n’engage pas de facto la responsabilité de l’auteur des soins. Elle pourrait aider à trouver un compromis avec le défendeur (le centre dentaire) et son assureur responsabilité civile professionnelle. Les conclusions de l’expertise amiable peuvent également motiver le demandeur à initier une action en responsabilité devant les juridictions (ici, civiles, car le centre dentaire est une structure de soins du secteur privé). C’est cette voie qui a été empruntée par la patiente, aux fins d’obtenir une indemnisation de ses préjudices.
Toutefois – et c’est ce qui rend cette décision intéressante – on apprend que la patiente s’est désistée de ses demandes à l’encontre du centre dentaire incriminé. Peut-être a t’elle reçue une offre indemnitaire intéressante, qui l’a motivée à cesser l’action en justice contre la structure ?
Cette extinction de l’instance aurait pu avoir lieu sans embûche si la Caisse d’Assurance maladie, régleur des soins de la patiente, ne s’y était pas opposée !
Et oui, il ne faut pas oublier qu’en matière de responsabilité médicale, l’organisme obligatoire de protection sociale de la victime doit être appelé en cause et est fondé à exercer son recours subrogatoire, en sa qualité de tiers payeurs (art. L376-1 du Code de la sécurité sociale).
Qu’en pense le juge ?
La décision
On apprend ainsi que la CCSS des Hautes Alpes réclame la condamnation du chirurgien-dentiste à régler la somme de 23 246,91 € au titre de ses débours, outre 1.191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion et 600 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. Une sacrée somme pour des soins prothétiques qui se sont révélés défectueux !
En premier lieu, le juge engage la responsabilité du chirurgien-dentiste au titre de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (existence d’une faute de la part du prestataire de santé) :
« En l’espèce il résulte du rapport d’expertise, non contesté par les défendeurs, que la tenue du dossier médical n’a pas été rigoureuse, le docteur [N] à commis des manquements et manques de précautions : l’édition du devis évoque un dispositif médical falsifié,le docteur [N] n’a pas été loyal dans l’édition du devis,le docteur [N] a commis des erreurs dans la conception et la pose des prothèses des dents antérieures maxillaires. La faute du docteur [N] étant ainsi caractérisée, la CCSS des Hautes Alpes est fondée à exercer son recours subrogatoire en application de l’article L376-1 du code de la sécurité sociale« .
L’engagement de la responsabilité du chirurgien-dentiste ayant effectué la prise en charge est engagée, le juge le condamne donc à régler à la caisse d’assurance maladie les frais qu’elle a réglé à la fois pour les soins effectués, mais également les reprises de soins, soit la somme de 23 246,91 €. Le praticien est également condamné à payer la somme de 1191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue à l’article L376-1 et les frais de justice (600 €).
Discussion
Il est possible que le chirurgien-dentiste fasse appel de cette condamnation au motif qu’étant salarié du centre dentaire, sa responsabilité civile ne peut être engagée à titre personnel (principe de l’arrêt Costedoat du 25 février 2005 appliqué au secteur médical). De la sorte, il tentera de s’exonérer de régler à la Caisse de sécurité sociale les quelques 25 000 euros au titre de la présente condamnation et ce sera à son employeur de le faire… De son côté, peu probable que l’employeur (si le praticien exerce toujours dans le centre, neuf ans plus tard, ce qui est rare dans le secteur) se montre généreux à l’égard de son salarié.
Affaire à suivre ?