De plus en plus invoqué par les patients, le défaut d’information constitue une faute (« non technique ») pouvant conduire à l’engagement de la responsabilité médicale du chirurgien-dentiste ou de l’établissement de santé qui l’emploie. Toutefois, l’engagement de la responsabilité reste conditionné à la démonstration d’un lien direct de cette faute avec un dommage. Une récente décision de justice en matière d’orthopédie dento-faciale (ODF) permet d’illustrer ce principe.
Les faits
Un patient bénéficie d’un traitement orthodontique auprès d’un chirurgien-dentiste spécialisé en orthopédie dento-faciale (ODF). Toutefois, à l’issue du traitement, le patient se plaint de douleurs et d’un résultat inesthétique et décide de rechercher la responsabilité civile du praticien aux fins d’obtenir une indemnisation. Il motive sa démarche en reprochant au praticien une faute technique dans l’exécution du traitement (ayant conduit à un résultat inesthétique) et à un défaut d’information ayant causé, selon lui, un préjudice moral d’impréparation.
La décision
Dans un premier temps, le juge se prononce sur l’existence ou non d’une faute technique dans l’exécution du traitement, ayant conduit à « un résultat inesthétique ».
Comme le rappelle le juge, le chirurgien-dentiste est soumis à une obligation de moyens et non de résultat. Partant de ce principe, il n’est pas possible d’engager la responsabilité médicale du professionnel de santé pour le seul motif que le résultat obtenu à l’issu du traitement est inesthétique, d’autant plus que le traitement ODF vise à améliorer à la fois l’esthétique et la fonction. Le demandeur à l’instance (le patient) doit donc prouver l’existence d’une faute dans l’exécution du traitement. Pour ce faire, ce dernier produit des courriers et devis de quatre autres chirurgiens-dentistes qui préconisent de réaliser un nouveau traitement orthodontique (sans toutefois se mettre d’accord sur le type de traitement à engager : cela va du port de gouttières à la chirurgie maxillo-faciale).
Le juge écarte toutefois ces documents et ne fonde sa décision que sur les seules conclusions de l’expert, qui exclut toute faute technique dans l’exécution du traitement et souligne même une amélioration de l’esthétique du sourire.
Reste désormais au juge à se prononcer sur un éventuel défaut d’information, une faute qualifiée de non technique. Pour les professionnels de santé, l’évocation d’un défaut d’information n’est pas quelque chose d’anodin puisque c’est à eux de prouver qu’ils ont bien délivré l’information au patient. Et cette obligation de délivrance d’information a été particulièrement renforcée par le législateur depuis la loi du 4 mars 2002 (voir par ex. les articles L. 1111-2 et suivants du Code de la santé publique).
Pour sa défense, le chirurgien-dentiste produit différents éléments du dossier médical : plan de traitement détaillé, consentement éclairé signé (le jour de la pose de l’appareil), carnet de rendez-vous permettant de prouver qu’il a reçu plusieurs fois le patient sur une longue période de temps avant le début du traitement. Autant d’éléments qui devraient théoriquement jouer en faveur du professionnel. Ce serait oublier bien vite que l’obligation d’information porte aussi sur les risques et complications du traitement.
Et à ce titre, le juge relève que le seul document écrit qui traite des risques n’est ni daté ni signé et que le consentement éclairé – qui lui est daté et signé – ne fait pas mention des risques. Enfin, si le praticien peut se défendre en expliquant qu’il a délivré ces informations à l’oral, le juge rappelle ici qu’il veut des preuves matérielles : « s’il peut aisément être admis, comme le fait l’expert, qu’un dialogue s’est instauré entre le médecin et le patient lors des trois consultations précédant la pose de l’appareil, il n’en demeure pas moins qu’il appartient au praticien de démontrer qu’il a effectivement informé son patient des risques fréquents ou graves normalement prévisibles ».
De la sorte, le juge retient l’existence d’un défaut d’information, donc, d’une faute susceptible d’engager la responsabilité médicale du professionnel de santé, au titre de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Mais le juge n’en reste pas là. Il s’intéresse à la question de savoir si ce défaut d’information a réellement causé un préjudice direct et certain au patient : en effet, pour que la responsabilité soit engagée, il faut trois conditions cumulatives : un fait générateur (ici, une faute), un dommage (et ce qui en découle, les préjudices) et un lien de causalité entre les deux.
Pour rappel, en matière de responsabilité médicale, le défaut d’information ne cause pas en lui-même un dommage corporel mais un préjudice moral. Deux préjudices moraux sont le plus souvent évoqués : le préjudice de perte de chance (d’éviter un traitement) et un préjudice d’impréparation (de n’avoir pas été préparé à la survenue du risque).
Ici, le patient évoque seulement un préjudice d’impréparation, dont l’existence suppose qu’il soit établi que les risques auxquels il n’a pas pu se préparer se sont réalisés.
Or, l’expert est catégorique : les doléances exprimées par le patient (douleurs en regard des ATM) ne sont pas imputables au traitement réalisé. Ce faisant, il n’est pas établi la réalité d’un risque auquel le patient n’a pas pu se préparer dans le cadre du traitement (la survenue de douleurs) et, dans ces conditions, il n’existe pas de préjudice lié au défaut d’information fautif !
En l’absence de faute technique et de préjudice lié au défaut d’information – pourtant relevé par le juge – la responsabilité médicale du chirurgien-dentiste n’est pas engagée dans le cadre du présent traitement.
À retenir
Cette décision est intéressante en ce qui concerne les conséquences médico-légales du défaut d’information en chirurgie dentaire et en orthopédie dento-faciale. Voici quelques points qu’il convient de retenir, pour sécuriser au mieux sa pratique :
- Le chirurgien-dentiste étant tenu à une obligation de moyens, il n’est pas possible d’engager sa responsabilité au seul titre qu’un traitement ODF réalisé est considéré par le patient comme étant inesthétique. Le traitement ODF doit s’apprécier comme étant un traitement à visée fonctionnelle autant qu’esthétique ;
- L’information portant sur les risques doit être incluse dans le consentement éclairé (ou renvoyer vers la feuille d’information) et la feuille d’information doit être signée par le patient et datée ;
- L’information orale n’a aucune valeur probante, seul compte l’écrit (n’en déplaise à ceux qui pensent encore le contraire et seront frustrés de découvrir que les recommandations de bonnes pratiques des années 2000 mettant en exergue la primauté de l’information orale étaient du pipeau) ;
- Si défaut d’information il y a, l’engagement de la responsabilité médicale d’un prestataire de santé ne peut se faire qu’en cas de préjudice imputable à ce défaut d’information.
- Enfin, le juge peut écarter des éléments susceptibles de remettre en cause la pertinence d’un plan de traitement ou la réussite d’un traitement : ici, le juge écarte les considérations de 4 praticiens qui proposent de reprendre le traitement et ne retient que l’avis de l’expert judiciaire ;
Au sujet du défaut d’information en matière dentaire, voir également cet article.