[Veille] Du contrat

Le contrat de travail fonde la légitimité de l’exercice d’un salarié auprès d’un employeur. En matière de chirurgie dentaire, si l’exercice libéral constitue la principale modalité d’exercice, la proportion de chirurgiens-dentistes salariés tend à augmenter depuis ces dix dernières années. Suivant ce contexte, le nombre de contentieux intéressant des contrats de travail litigieux entre des chirurgiens-dentistes et des cabinets libéraux ou centres de santé augmente également.

L’actualité en matière de décisions de justice servira de prétexte pour traiter ici de ce type de contentieux : une décision de la Cour d’appel de Paris et une autre de la Cour d’appel de Versailles

1. Cour d’appel de Paris, Pôle 6, Chambre 6, Arrêt du 9 avril 2025, Répertoire général nº 21/05459

Une première affaire, jugée par la Cour d’appel de Paris, porte sur la contestation de la réalité d’un contrat de travail intéressant un chirurgien-dentiste salarié d’un centre de santé.
En l’espèce, un chirurgien-dentiste est recruté pour exercer à temps partiel dans un centre de santé polyvalent. Moins de deux ans plus tard, alors que le praticien est toujours en exercice, la structure rencontre de graves difficultés financières, cesse de payer les salaires, finit par fermer, licencie ses salariés et est placée en liquidation judiciaire.

Le praticien engage alors une action en justice aux fins d’obtenir le règlement des salaires impayés et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La décision de première instance lui donne gain de cause, et sa créance est reconnue. Mais l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), ainsi que le mandataire judiciaire, contestent à posteriori l’existence même du contrat de travail afin d’échapper à la garantie des créances. Et ce, en contestant la réalité du contrat de travail du chirurgien-dentiste !

Ils soutiennent que le contrat était fictif, au motif que l’association n’était pas autorisée à exercer des soins dentaires, ne disposait pas du matériel adéquat et que la rémunération au pourcentage (35 % des actes) poserait un problème sur le plan déontologique (elle serait contraire à l’article R. 4127-249 du Code de la santé publique qui interdit toute rémunération fondée sur la productivité). Ils ajoutent que la rémunération perçue était disproportionnée, sous-entendant une entente frauduleuse.

La cour d’appel a démonté point par point les arguments avancés : le contrat de travail et l’activité étaient bien réel, le chirurgien-dentiste en apportant des éléments de preuve irréfutables (contrat écrit, signé et validé par l’ARS et l’Ordre, bulletins de salaire, preuves de soins, matériel présent). Également plusieurs attestations (patients, collègues, assistante) confirmaient l’exercice effectif de la chirurgie dentaire.

Quant à la clause de rémunération – couramment rencontrée dans les contrats de travail des chirurgiens-dentistes – celle-ci n’était pas liée à une obligation de productivité, et le Conseil de l’Ordre ne l’avait jamais censurée.

Enfin, le fait que le centre ait été mal géré ou en difficulté n’enlève rien à la validité du contrat de travail.

La Cour d’appel de Paris donne donc raison au chirurgien-dentiste salarié : elle confirme que son contrat de travail était bien réel et non fictif, fixe la créance salariale à 23 216 € nets au passif de l’association gestionnaire du centre de santé, en plus des indemnités de rupture déjà accordées par le conseil de prud’hommes (plus de 20 000 €) et condamne le mandataire liquidateur aux dépends d’appel.

2. Cour d’appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, Arrêt du 20 mars 2025, Répertoire général nº 22/03707

Une seconde affaire, portée devant la Cour d’appel de Versailles, oppose un chirurgien-dentiste à une SELARL. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un chirurgien-dentiste salarié à proprement parlé, mais d’un praticien associé et cogérant de la société qui conteste son statut pour revendiquer celui de salarié.

Ce praticien affirme en effet qu’il ne disposait d’aucun pouvoir réel de décision, mais qu’il exerçait son activité sous le contrôle du gérant principal de la SELARL. D’après lui, le gérant principe les nouveaux patients, réalisait les diagnostics et les plans de traitements, fixait les devis et les échéanciers et transmettait ensuite les consignes aux autres praticiens, dont le demandeur à l’action, aux fins d’appliquer les traitements décidés.

Le demandeur à l’action affirme également n’avoir jamais été autonome dans la gestion de son agenda, dans la facturation, ni dans la prise en charge des patients. Il se présente ainsi comme un prestataire exécutant, privé de toute indépendance, et donc, selon lui, placé dans un lien de subordination. Un tel lien serait donc, d’un point de vue juridique, caractéristique du contrat de travail.

C’est sur cette base que le chirurgien-dentiste saisit le conseil de prud’hommes, aux fins de demander la requalification de sa relation en contrat de travail à durée indéterminée, la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le versement de plus de 430 000 € d’arriérés de salaires et d’indemnités.

Toutefois, la Cour rejette ses demandes. Elle considère qu’aucun lien de subordination – c’est-à-dire, un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction exercé par l’employeur – n’est établi par le demandeur. La cour relève que, même si le gérant principal centralisait certaines décisions cliniques, cela ne suffisait pas à établir un lien de subordination juridique. La relation était celle d’une collaboration entre associés, pas d’un salarié soumis à une autorité.

La Cour d’appel de Versailles confirme donc l’absence de contrat de travail, et rejette l’ensemble des demandes indemnitaires du praticien.

Ce n’est donc pas parce que le chirurgien-dentiste, associé ou cogérant dans une SELARL, a un rôle « secondaire » dans la prise en charge des patients qu’il est pour autant placé dans un lien de subordination au sens juridique du terme et ainsi revendiquer le statut de salarié.

Que retenir de ces décisions ?

Ces deux décisions illustrent les contours parfois flous du lien contractuel dans l’exercice dentaire.

La première confirme qu’un chirurgien-dentiste salarié bénéficie pleinement de la protection du droit du travail, y compris au sein d’une structure en difficulté.

La seconde rappelle qu’un praticien associé ou cogérant ne peut revendiquer ce statut sans démontrer un véritable lien de subordination.

Le statut ne dépend donc pas du ressenti du praticien, mais des conditions juridiques et factuelles de l’exercice, telles qu’elles résultent du contrat et de la réalité professionnelle (pratique clinique, carnet de rendez-vous, fiches de paye, etc).

Dès lors, pour tout chirurgien-dentiste, il est essentiel de clarifier sa position contractuelle en amont de l’exercice, plutôt que d’attendre une dégradation de la relation pour tenter de faire valoir ses droits devant le juge.


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